Développé avec Berta.me

  1. Healing Surfaces, Julie Caredda Gallery, Paris

    12 oct - 11 nov 2023

    (EN)

    Amandine Guruceaga’s artistic practice is deeply rooted in her diverse experiences and encounters. It draws inspiration from her parents’ metal enameling workshop in Var, the halls of the Museum of Modern and Contem- porary Art in Nice, Anita Molinero’s studio at the School of Art in Marseille, as well as interactions with various artisans during residencies and collaborative projects. These encounters contribute to an ongoing process of experimentation. The artist selects specific materials (textiles, metals, leather) that she transforms through various techniques and tools: dyeing, bleaching, en- graving, cutting, folding, unfolding, melting, burning, oxidizing, stacking, and dissolving. She manipulates these materials to push their boundaries, achieving astonishing optical transformations where translucent leather becomes fabric, faded textile turns into stained glass, and oxidized metal takes on the qualities of water- color. Amandine Guruceaga explores the material and visual possibilities that feed into her formal and pictorial research.

    The alterations metamorphose the materials, giving them new meanings and significance. In her studio, which serves as an alchemical laboratory of sorts, she transcends traditional artistic boundaries. In a spirit of care and alliance, she reconciles the histories of painting, sculpture, art, and craftsmanship, seamlessly blending them together.

    The artist manipulates elements to combine them, creating encounters between fire and fluids (bleach, dyes), between metal and textiles, between softness and rigidity, and between the organic and the chemical. Through burning and impregnation, colors that are both soft and subterranean emerge from within the mate- rials. Amandine Guruceaga articulates paradoxes where alterations contribute to chromatic, formal, metaphori- cal, and mystical revelations. Each material and gesture carries symbolic weight, inviting us to explore forms. These forms are often connected to human, animal, and plant bodies, as well as liquid bodies. These elusive bodies are filled with movement, demonstrating the constant metamorphosis of life, both in its visible and invisible aspects. Emanuele Coccia speaks of the «games of life»: «unstable and necessarily ephemeral configura- tions of a life that loves to transit and circulate from one form to another.» Motivated by the promise of endless mutations, the artist activates circulation, translation, and transformation to multiply gestural and formal potentialities. In doing so, the sculpture that hybridizes fabric, copper, and polyurethane foam seems to emerge from wall-based works and occupies space. Liquid and organic motifs take on physical form and gain autonomy from the wall. The artwork continues the inevitable movement of creation by acquiring a physical dimen- sion. «Metamorphosis is both the force that allows every living being to spread simultaneously and successively across multiple forms and the breath that allows forms to connect with each other, to pass one into the other.»

    The surface is a skin, a fragile material that separates the interior from the exterior. It’s also a portal or window through which other existences, other realities, and other bodies seem to exist. Amandine Guruceaga plays with the movements between the inside and the outside, especially through a radiographic optical trick. She men- tions that while working with Spanish tanners on lamb leather, she was fascinated by the imprint of rib cages in the leather. The animal’s skin, a true shape-memory material, bears the mark of the skeleton it protected. A vertebrate pattern that the artist extends onto fabric and metal. By working with color, light, and the transfor- mative effects of materials, she allows us to see beneath and on the surface-membranes. From fragments of skeletons to scarification, she explores the visible and the invisible. «Your scar is a line.» It’s all about erasures and revelations, persistence and resistance. Violence is also very present due to accidents and convulsive gestures that leave bruises and scars in their wake, adding to the motifs. These traces indicate what exists beneath the skin-surface: the violence upon which humanity has been founded. A systemic violence that generates authoritarian dogmas, obsolete categorizations, binary thinking, and a set of alienations that Amandine Guru- ceaga works to overcome through cauterization, sutu- ring, and bandaging. It’s a struggle that finds a form of healing through a magic as personal as it is flamboyant.

    [1] COCCIA, Emanuele. Métamorphoses. Paris : Editions Payot & Rivages, 2020, p.15.
    [2] Ibid. p.20.

    Julie Crenn

    (FR)

    L’ écriture plastique d’Amandine Guruceaga trouve ses origines dans l’atelier d’émaillage de métaux de ses parents dans le Var, dans les salles du musée d’art moderne et contem- porain de Nice, dans l’atelier d’Anita Molinero à l’école d’art
    de Marseille, dans les ateliers des artisans.es rencontrées
    lors de différentes résidences et temps de collaboration. Les rencontres participent d’une expérimentation nécessairement continuelle. L’artiste choisit des matériaux spécifiques (textiles, métaux, cuirs) qu’elle va transformer selon différents gestes
    et outils : teindre, décolorer, graver, découper, plier, déplier, fondre, brûler, oxyder, empiler, dissoudre. Elle travaille la matière pour en dépasser les limites et obtenir des translations optiques étonnantes où le cuir translucide devient textile, le textile décoloré devient vitrail, le métal oxydé se fait aquarelle.

    Amandine Guruceaga déploie des potentialités maté- rielles et plastiques qui nourrissent sa recherche aussi formelle que picturale. Les altérations métamorphosent la matière qui adopte une signification nouvelle. Dans son atelier, véritable laboratoire alchimique, elle transcende les territoires dont il n’est plus nécessaire de penser séparément. Dans une perspec- tive de soin et d’alliance, elle réconcilie les histoires, celle de la peinture, celle de la sculpture, celle de l’art, celle de l’artisanat. Aux binarités sclérosantes, Amandine Guruceaga fait le choix d’une écriture plastique fluide et réparatrice. La série Healing Surfaces manifeste de cette ambition. Les bas-reliefs au mur et les volumes dans l’espace résultent d’une pluralité de gestes et de décisions. Les œuvres sont en effet les fruits d’une longue recherche et de multiples expériences. Pensées comme des collages de matériaux et de couleurs, elles conjuguent l’acier,
    le textile et le laiton (alliage de cuivre et de zinc). Ce n’est pas l’opposition, mais bien la complémentarité des matériaux que l’artiste met à l’œuvre. Les bas reliefs, semblables à des vitraux, sont formés de motifs qui composent un alphabet personnel
    : des croix, des carrés, des morphologies liquides, des lignes ondulantes et entrelacées, des formes aussi rhizomiques que musculaires, des auréoles, des éléments osseux, minéraux et architecturaux. Les motifs combinent des écritures pariétales, ancestrales, décoratives, modernes et actuelles. Animée par
    un besoin de polychromie, Amandine Guruceaga est en quête d’aberrations chromatiques. Les couleurs résultent de teintures qui reprennent les techniques du tie and dye. Tout comme le travail réalisé au chalumeau, les teintures artisanales confèrent aux œuvres une dimension irisante et psychédélique. Une aura surnaturelle ou irréelle qui participe du soin, de la récon
    ciliation et de la transcendance des corps dont l’artiste travaille l’épiderme infini.

    L’artiste manipule les éléments pour les conjuguer. Elle fabrique ainsi des rencontres entre le feu et les fluides (la javel, les teintures), entre le métal et le textile, entre le mou et la rigidité, entre l’organique et le chimique. Par la brûlure et l’imprégnation, les couleurs à la fois douces et souterraines proviennent de l’intérieur des matériaux. Amandine Guru- ceaga articule des paradoxes où les altérations participent
    de révélations chromatiques, formelles, métaphoriques et mystiques. Why are you on the other side? Chaque maté-
    riau et chaque geste impliquent une charge symbolique qui nous invite à une exploration des formes. Ces dernières sont souvent liées aux corps humains, animaux, végétaux, mais aussi aux corps liquides. Ces corps insaisissables sont gorgés de mouvements. Ils manifestent la constante métamorphose du vivant : dans sa part visible comme dans sa part invisible. Emanuele Coccia parle de jeux de vie : “des configurations instables et nécessairement éphémères d’une vie qui aime transiter et circuler d’une forme à une autre.”[1] Motivée par la promesse de mutations infinies, l’artiste active les circula- tions, les translations et les transformations pour multiplier les potentialités gestuelles et formelles. Par là, la sculpture qui hybride le tissu, le cuivre et la mousse de polyuréthane semble s’extirper des œuvres murales pour s’installer dans l’espace. Les motifs liquides et organiques prennent corps et s’autono- misent vis-à-vis du mur. L’œuvre poursuit l’inévitable mouve- ment de la création en se dotant d’une dimension physique. “La métamorphose est à la fois la force qui permet à tout vi- vant de s’étaler simultanément et successivement sur plusieurs formes et le souffle qui permet aux formes de se relier entre elles, de passer l’une dans l’autre.”[2]

    La surface est une peau, la matière fragile qui sépare l’intérieur de l’extérieur. Water Window. La surface est aussi un portail ou une fenêtre à travers laquelle d’autres existences, d’autres réalités, d’autres corps semblent exister. Amandine Guruceaga se joue des mouvements entre le dedans et le dehors, notam- ment par un truchement optique de type radiographique.

    Elle raconte à ce propos que lors de la manipulation du cuir d’agneau avec des tanneurs espagnols, elle a été fascinée par l’empreinte des cages thoraciques dans le cuir. La peau de l’animal, véritable matière mémoire de forme, est marquée

    du squelette qu’elle a protégé. Un motif vertébré que l’artiste prolonge sur le tissu et le métal. En travaillant la couleur, la lumière et les effets de mutations des matériaux, elle nous donne à voir sous et sur les surfaces-membranes. Du fragment de squelette à la scarification, elle explore le visible et l’invi- sible. Your scar is a line. Tout est ici question d’effacements et de révélations, de persistance et de résistance. La violence y est aussi très présente du fait d’accidents et de gestes convulsifs qui laissent sur leur passage des ecchymoses et des cicatrices qui viennent augmenter les motifs. Ces traces nous indiquent ce qui existe sous la peau-surface : la violence avec laquelle l’humanité s’est fondée. Une violence systémique qui engendre des dogmes autoritaires, des catégorisations obsolètes, une pensée binaire et un ensemble d’aliénations dont Amandine Guruceaga travaille à se défaire par la cautérisation, la suture et le pansement. Une lutte qui trouve une forme de guérison au moyen d’une magie aussi personnelle que flamboyante.

    [1] COCCIA, Emanuele. Métamorphoses. Paris : Editions Payot & Rivages, 2020, p.15.
    [2] Ibid. p.20.

    Julie Crenn